Extrait de la lettre aux amis de mars 2024
Jour après jour, mois après mois, l’actualité ne cesse d’apporter son lot d’horreurs chargées d’inquiétudes pour l’avenir. Les derniers événements ne donnent guère l’occasion de se réjouir. La situation de notre pays, la guerre en Ukraine, l’effondrement économique de l’Europe, les scandales en tous genres, et tout récemment l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution de la France …, des nuages noirs s’amoncellent partout. L’Église n’est pas en reste : le document de travail pour le synode qui s’est tenu au mois d’octobre est catastrophique : il propose une Église qui s’écarte de plus en plus de l’Église fondée par Jésus-Christ.
Pourtant depuis des mois, voire des années, messes, prières, neuvaines, chapelets publics, … n’ont pas manqué pour demander au Ciel d’intervenir et de mettre fin à cette descente aux enfers. Devant le peu de résultats obtenus, certains, parfois parmi les meilleurs, sont tentés de baisser les bras en se disant : « À quoi bon continuer ! » Ce sentiment de découragement est humain. Nous ne sommes pas les premiers à l’avoir éprouvé. Chaque fois que des efforts continus se soldent par un échec, la tentation est là.
Ce fut sûrement un sentiment analogue qu’éprouvèrent les pêcheurs du lac de Tibériade, il y a quelque siècles, lorsqu’ils revinrent un matin sans avoir pris un seul poisson malgré une nuit entière passée à jeter leurs filets. En arrivant sur le rivage, ils voient Jésus, déjà entouré d’une foule nombreuse malgré l’heure matinale. Jésus vient à eux et demande à monter dans la barque de Simon-Pierre. S’éloignant du rivage de quelques brasses, pendant une bonne partie de la matinée, Jésus parle à la foule massée sur la grève : Il parle de son Père, du royaume des cieux, … À la fin de son discours, Jésus se tourne vers Simon et lui fait une demande étonnante : « Duc in altum et laxate retia vestra in capturam. » (« Avance au large et jetez vos filets pour la pêche. ») L’évangéliste se contente d’ajouter : « Lorsqu’ils l’eurent fait, ils prirent une si grande quantité de poissons que leurs filets se rompaient. »
Les Évangiles sont avares de détails. Dieu l’a voulu ainsi pour nous aider à nous concentrer sur l’essentiel, pour éviter à notre esprit de se fixer sur des détails matériels d’importance secondaire. La sobriété du texte nous force à nous concentrer sur les leçons à tirer de l’événement pour mieux nous imprégner des enseignements divins : pour stimuler notre attention, l’étonnante pédagogie divine veut que nous imaginions nous-même les scènes ! Saint Ignace de Loyola le prévoit très explicitement dans ses Exercices spirituels. Nous devons commencer par voir les personnes, voir ce qu’elles font, entendre ce qu’elles disent, … alors même que l’Évangile n’en dit rien ! Suivons son enseignement et essayons de voir la leçon qu’il est possible de tirer de ce passage de l’Évangile.
En général, les commentateurs en ont tiré des enseignements sur la mission de l’Église. Par exemple, Dom Guéranger fait le commentaire suivant :
La barque de Pierre ne devait pas rester longtemps confinée dans les eaux juives. L’humble nacelle a gagné la haute mer ; elle vogue désormais sur les eaux profondes (…). Il a jeté sur l’Océan immense le filet de la prédication apostolique (…) qui seul doit amener les fils du grand poisson, de l’Ichtus céleste, à la rive éternelle.
Mais aucun commentateur ne semble s’être arrêté sur la réaction des pêcheurs eux-mêms après la demande de Jésus. Il est vrai qu’elle n’est pas rapportée par l’évangéliste. On imagine volontiers que Simon, dépeint par les Évangiles comme ayant un caractère bouillant et impulsif, a d’abord été étonné, puis profondément agacé par la demande de Notre Seigneur. Il n’a qu’une envie, c’est de finir de ranger ses filets et d’aller se reposer après une nuit passée sur le lac sans rien prendre. « Duc in altum ! Retourne au large ! » Mais c’est complètement idiot ! Il en vient du large ! Il y a passé toute la nuit ! Et il n’y a rien pris ! Les poissons ne sont pas là ! Pourquoi y retourner ? C’est inutile ! On n’y prendra aucun poisson, surtout en plein jour ! N’y tenant plus, le bouillant Simon commence à dire : « Écoute, Rabbi, tu es gentil ! Toi, tu étais charpentier dans un village à une demi-journée de marche d’ici. Nous, nous sommes nés au bord de ce lac, et nous y pêchons depuis des années. Alors … »
Mais, dans un éclair de lucidité, il repense à tout ce qui s’est passé ces derniers temps. Il revoit la façon dont il a rencontré Jésus, il y a à peine un an. Il revoit tous les moments passés avec Lui, ce qu’Il leur a appris … et surtout le discours qu’Il vient de prononcer. C’étaient des paroles proprement divines ! Lui-même, ses compagnons, toute la foule sur la plage L’a écouté, complètement sous le charme de ses paroles. Quel homme extraordinaire ! Alors son agacement retombe et il dit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit et nous n’avons rien pris ; mais sur ta parole, je jetterai les filets. » Puis prenant les rames, il va vers le large. Maintenant, il ne souhaite plus qu’une chose : montrer à Jésus qu’il est déterminé à faire ce qu’Il lui a demandé, même s’il ne comprend pas très bien. Et c’est avec joie qu’il jette les filets. Peu importe qu’il remonte du poisson ou pas : Jésus lui a demandé de jeter les filets ; il jettera les filets. Il veut faire tout ce que lui demande cet homme. Son agacement a fait place à une telle énergie que Jésus ne peut s’empêcher d’esquisser un léger sourire. Ces hommes qu’Il a créés sont bien versatiles, mais malgré tout plein de mérites. C’est alors qu’Il fait le miracle que nous connaissons.
Ne sommes-nous pas en ce moment dans une situation analogue à celle des pêcheurs du lac de Génésareth lorsqu’ils revinrent bredouille ? Le peu de fruits de nos efforts pour rétablir une société chrétienne, pour répandre la vraie foi, pour éduquer nos enfants dans cette foi, etc. est sinon décourageant, tout au moins surprenant. Jésus le sait. Et que répond-Il à notre muette interrogation ? « Duc in altum ! Retournez à ce que vous faisiez. Continuez à faire votre devoir d’état. Ne vous arrêtez pas. Je pourrais faire un miracle sans vous. Mais ma Volonté est de ne pas le faire sans vous. Je veux que vous commenciez. Je ferai le reste. Mais si vous arrêtez, ma Volonté ne fera rien. »
Il ne nous appartient pas de connaître l’heure choisie par le Père pour récompenser nos efforts. On peut souhaiter qu’elle ne tarde pas trop, mais « nous ne savons ni le jour, ni l’heure ». Nous ne savons qu’une chose : Jésus nous demande de continuer à faire ce que nous avons fait jusque-là.
Alors, devant la dégradation de la situation en Europe, devant la démolition en règle de l’Église, continuons à lutter avec l’énergie que Simon-Pierre mit à retourner au large et qui fit sourire Jésus. Que les moines prient et chantent l’office divin ! Que les prêtres prêchent et donnent les sacrements ! Que les familles élèvent chrétiennement leurs enfants, malgré l’ambiance délétère de notre société ! Que les professeurs enseignent ! Que l’AFS continue à publier même si le nombre de lecteurs stagne, voire diminue ! Et, osons ajouter : que nos lecteurs lisent et fassent connaître ce qu’ils ont lu à leur entourage. Si nous agissons ainsi, soyons sûrs que, lorsque Dieu jugera l’heure arrivée, Il reproduira le miracle qu’Il fit sur le lac de Tibériade. Alors : Duc in altum !