Chers amis de l’AFS,
Toute l’équipe de l’AFS vous souhaite à nouveau une sainte et heureuse année. Que les sombres préoccupations de l’époque présente n’entament pas notre confiance dans la puissance divine et notre espérance dans le triomphe prochain du Cœur Immaculé de Marie.
Les événements de la fin de l’année écoulée nous conduise à consacrer cette première lettre de l’année 2022 à un sujet très préoccupant : la situation de la messe traditionnelle.
En effet, l’AFS s’est toujours efforcée de regarder avec lucidité la situation dans l’Église. Ainsi, dès les premières années de son existence, elle s’est battue pour défendre le catéchisme traditionnel devant les conséquences catastrophiques du catéchisme Pierres vivantes pour la foi. (Voir la brochure Histoire de l’AFS) ; elle a régulièrement rappelé les dangers menaçant l’Église (voir les brochures – plus de 30 – sur l’infaillibilité pontificale, le concile Vatican II, le libéralisme catholique, le renouveau charismatique, etc.). Récemment, elle a publié des analyses sur Querida amazonia (n° 269 – juin 2020 – de la revue), Traditionis custodes (n° 277 – octobre 2021 – de la revue). C’est dans le même esprit que nous vous proposons aujourd’hui une analyse de la situation de la messe traditionnelle suite aux récentes décisions du Saint-Siège.
Que le Cœur Immaculé de Marie nous accorde les grâces nécessaires pour contrer cette attaque visant à détruire la messe, cœur de la vie de l’Église.
.
Une déclaration de guerre
en bonne et due forme
Le 18 décembre dernier, la congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements (CCD) a fait paraître une note intitulée Responsa ad dubia répondant aux questions (‘dubia’ en latin signifie ‘question’) posées par de nombreux évêques à travers le monde à propos de l’application du motu proprio Tradicionis custodes (TC).
Beaucoup de fidèles ont été désemparés par la dureté de cette réponse. En effet, suite à diverses réactions des fidèles attachés au rite traditionnel, nombreux étaient ceux qui espéraient que le Saint-Siège reviendrait, au moins en partie, sur sa décision. La note de la CCD, en interprétant TC dans un sens nettement restrictif, vient de leur ôter tout espoir.
Pourquoi s’en étonner ? Dès le départ, l’intention du motu proprio était claire ; la réponse de la congrégation ne le durcit nullement : elle explicite seulement une fermeté déjà clairement exprimée dans TC.
En effet, prenant exactement le contrepied de Summorum pontificum, TC affirme que le nouvel ordo est la seule forme reconnue pour le rite romain et qu’en conséquence il est nécessaire d’exclure du rite romain le missel de 1962. Dans la lettre de présentation du motu proprio, François dit clairement : « Je me vois contraint de révoquer la faculté accordée par mes prédécesseurs », puis : « Je prends la ferme décision d’abroger toutes les normes, les instructions, les concessions et habitudes antérieures au Motu Proprio actuel » et encore un peu loin : « Je prends la décision de suspendre la faculté accordée par mes prédécesseurs ».
Révoquer, abroger, suspendre ! Ces propos ne laissent guère de place à une interprétation charitable. Cependant, le motu proprio lui-même n’a pas le ton dur de la lettre de présentation. En ne retenant que les 8 articles de TC, sans tenir compte de la lettre de présentation, laquelle n’a pas la même force juridique que le motu proprio, il était possible de l’interpréter dans un sens pas trop restrictif, notamment à cause du maintien de certaines concessions. La réponse de la CCD vient de mettre fin à cette possibilité en précisant les points sur lesquels diverses interprétations étaient possibles. Notamment elle rappelle les principes sur lesquels le motu proprio s’est appuyé et en tire des décisions concrètes. Il est intéressant d’analyser ces principes, car ils mettent en lumière le véritable esprit animant actuellement le Saint-Siège vis-à-vis de tout ce qui touche à la tradition.
Avant de commencer, il est important de voir que la note de la CCD a été approuvée sans réserve par François. En effet, dans la lettre de présentation placée au début du document, il est dit que François a été informé et qu’il a donné son accord pour publier les réponses proposées. Et juste après la lettre, il est à nouveau précisé que François a été informé le 18 novembre 2021 du contenu de la note et a donné son consentement pour sa publication. Si cette réponse n’est pas de François lui-même, elle est tout au moins conforme à sa pensée.
Structure de la réponse
La note de la CCD commence par une lettre de présentation signée par Mgr Roche, préfet de la CCD, puis regroupe les nombreuses questions reçues en 11 questions. Pour chacune d’elles, après avoir rappelé le passage concerné de TC, la CCD donne une réponse concise suivie d’une note explicative pour la justifier et l’expliquer.
Quatre points sont particulièrement intéressants à analyser : la nature de la messe, sa fin, les conséquences qui en découlent, enfin les références sur lesquelles la CCD s’appuie pour justifier les décisions prises.
Nota : Pour désigner les différents passages du document de la CCD :
- ceux tirés de la lettre de présentation seront mentionnés par un ‘L’ suivi du rang du paragraphe dans la lettre, ‘L3’ signifiant 3e paragraphe de la lettre de présentation de Mgr Roche ;
- ceux tirés des réponses seront mentionnés par un ‘R’ suivi du rang de la réponse, ‘R4’ signifiant l’un quelconque des paragraphes de la réponse à la 4e question.
L’analyse de la note a été conduite à partir de la version française figurant sur le site du Vatican.
La nature de la messe
Par deux fois dans la lettre de présentation (L3 et L4), la CCD rappelle brièvement la nature de la messe. Elle n’était nullement obligée de le faire, aucune question n’abordant ce point parmi les ‘dubia’ retenues par la congrégation. Toutefois, si elle a jugé utile de le faire, c’est sûrement pour en rappeler une caractéristique essentielle. Quelles expressions utilise la CCD pour désigner la messe ?
Pour la CCD, la messe est le « partage de l’unique pain rompu » (L3) et le « mémorial de la Pâque » (L4). Assister à la messe signifie « participer à la table eucharistique » (L3). Auparavant, on disait généralement : assister au saint sacrifice de la messe.
Il n’est jamais rappelé que la messe est un sacrifice, le renouvellement non sanglant de l’unique sacrifice du Christ. Le mot ‘sacrifice’ ne figure qu’une seule fois dans la note, à la fin de R3, mais dans une expression qui l’édulcore puisqu’il est parlé de la « table du sacrifice eucharistique » et non pas de l’autel du sacrifice.
Ainsi, il ressort que, pour la CCD, la messe est d’abord un repas pour partager le pain rompu. Cette notion est très éloignée des définitions antérieures à Vatican II. Voici par exemple celle du grand catéchisme de saint Pie X :
La sainte Messe est le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ, offert sur nos autels sous les espèces du pain et du vin en souvenir du sacrifice de la Croix.
Le sacrifice de la Messe est substantiellement le même que celui de la Croix en ce que c’est le même Jésus-Christ qui s’est offert sur la Croix et qui s’offre par les mains des prêtres, ses ministres, sur nos autels ; mais dans la manière dont il est offert, le sacrifice de la Messe diffère du sacrifice de la Croix, tout en gardant avec celui-ci la plus intime et la plus essentielle relation.
Entre le sacrifice de la Messe et le sacrifice de la Croix il y a cette différence et cette relation que, sur la Croix, Jésus-Christ s’est offert en répandant son Sang et en méritant pour nous ; tandis que sur les autels, il se sacrifie sans effusion de sang et nous applique les fruits de sa Passion et de sa Mort.
Il y a donc une différence véritablement ontologique entre les deux définitions, celle employée par la CCD et celle du catéchisme de saint Pie X.
Cet effacement du caractère sacrificiel de la messe est accentué par la fin que la CCD attribue à la messe.
La fin de la messe
Conformément à ce que dit TC, pour la CCD, la fin de la messe est l’unité. Ce point est affirmé avec clarté à plusieurs reprises :
- « Le premier objectif [de Traditionis Custodes et par conséquent de la messe elle-même] est de poursuivre la recherche constante de la communion ecclésiale. » (L2)
- « Chaque norme a pour but de préserver le don de la communion ecclésiale en marchant ensemble. » (L2)
- Ce « partage» constitue « le lien le plus profond de l’unité» qui entraîne un devoir pour les évêques « de sauvegarder la communion » (L4).
- Le dernier paragraphe de la lettre de présentation demande à Marie de « conserver l’unité de l’esprit par le lien de paix ».
Cette recherche de l’unité et de la communion ecclésiale est la seule fin avancée par la CCD. Et pour elle, cette unité exige une liturgie unique. L’une des fautes majeures relevée par la CCD est précisément le refus de concélébrer parce qu’il manifeste un manque de communion ecclésiale.
Aucune des quatre fins traditionnelles de la messe n’est rappelée. Voici comment le grand catéchisme de saint Pie X les présente :
On offre à Dieu le sacrifice de la sainte Messe pour quatre fins :
1) pour lui rendre l’honneur qui lui est dû, et à ce point de vue le sacrifice est latreutique ;
2) pour le remercier de ses bienfaits, et à ce point de vue le sacrifice est eucharistique ;
3) pour l’apaiser, lui donner la satisfaction due pour nos péchés, soulager les âmes du purgatoire, et à ce point de vue le sacrifice est propitiatoire ;
4) pour obtenir toutes les grâces qui nous sont nécessaires, et à ce point de vue le sacrifice est impétratoire.
Là encore, il y a une différence ontologique entre les fins présentées par saint Pie X et celle retenue par la CCD. Pour saint Pie X, la messe est un acte entièrement tourné vers Dieu ; pour la CCD, la messe est avant tout une manifestation d’unité entre les hommes.
Les différences entre les deux conceptions sont telles qu’on ne peut plus parler de la même messe. Et on est même légitimement en droit de se demander s’il s’agit de la même religion. La note de la CCD a beau affirmer que la messe réformée est le « témoignage d’une foi inchangée » (R2) ; elle a beau répéter que c’est l’unique lex orandi, à partir du moment où l’essence est à ce point différente, ce n’est plus la même lex orandi. Dire une chose ne suffit pas pour qu’elle soit.
Les conséquences
Pour la CCD, le but essentiel de la messe étant l’unité de la communauté ecclésiale, il en résulte l’impérieuse nécessité d’avoir une forme unique pour la célébrer, afin de montrer cette unité. D’où une série de normes pour préciser l’application de TC. Voici les plus significatives :
– Un seul rite
Reprenant le 1er paragraphe de TC, la note de la CCD demande de reconnaître dans « les livres liturgiques promulgués par les saints pontifes Paul VI et Jean-Paul II l’unique expression de la lex orandi du rite romain » (L2), formulation qui sous-entend que les autres formes sont donc interdites.
Le but est de rétablir « une prière unique et identique » exprimant ainsi « l’unité de l’Église » (R2).
Ainsi, l’expression « seule (ou unique) expression de la lex orandi du rite romain » apparait quatre fois dans la note ! (L2, R3, R5 et R10). La volonté affichée est claire : n’avoir plus qu’un rite et donc mettre fin à l’usage de l’ancien rite.
– Abrogation du rite traditionnel
C’est pourquoi l’autorisation d’utiliser l’ancien ordo ne reste concédée que dans des cas très limités, avec la volonté d’y mettre fin dans un proche avenir. Là encore, la note de la CCD ne laisse pas la moindre place au doute :
- « Les livres normes instructions concessions et coutumes antérieures ont été abrogés (cf. Traditionis custodes n° 8)» (R2), affirmation en opposition formelle non seulement avec la bulle Quo primum tempore de saint Pie V, mais aussi avec le motu proprio Summorum pontificum de Benoît XVI.
- « Il [l’ancien rite] ne fait pas partie de la vie ordinaire de l’Église. » (R1) Il serait plus exact de dire : « Il ne fait PLUS partie de la vie ordinaire de l’Église », car il en a fait partie pendant de nombreux siècles.
- « L’exclusion de l’église paroissiale vise à affirmer que la célébration eucharistique selon le rite précédent n’est qu’une concession limitée à certains groupes» (R1).
Tout ceci n’est que la conséquence logique de ce qui est affirmé quatre fois : désormais, il n’y a plus qu’une seule expression de la lex orandi ; toute autre forme est exclue. C’est une abrogation complète, en bonne et due forme, de Summorum pontificum.
D’ailleurs, par deux fois dans R3, la CCD précise ce qu’il convient de faire « avant de révoquer la concession d’utiliser le Missale Romanum de 1962 ». L’objectif est donc bien la révocation de la messe de saint Pie V, même s’il est nécessaire de patienter parfois pour le faire, en laissant aux prêtres un certain temps pour reconnaître la valeur du nouveau rite.
– Les limites aux éventuelles concessions
La CCD maintient toutefois certaines concessions, mais les assortit d’une série de recommandations qui confirme ce qui a été dit précédemment.
Ces normes, précise la CCD, sont « une concession » pour permettre d’arriver à « l’unique lex orandi » et ne sont nullement « une occasion de promouvoir le rite précédent » (R1).
Non seulement, l’ancien rite « ne fait pas partie de la vie ordinaire de l’Église », mais l’évêque doit veiller à « revenir à la forme unitaire de célébration » (R2).
Pour cela, « il n’est pas opportun que les célébrations [selon l’ancien ordo] soient incluses dans le calendrier paroissial » (R1) ; et il faut éviter de les « célébrer en même temps que les activités pastorales » de la paroisse (R1). Il est à craindre que cette norme relègue l’ancien rite à des horaires peu commodes.
De plus, deux conditions sont exigées pour pouvoir jouir d’une telle concession : « accepter la réforme liturgique et être en communion avec l’évêque du lieu » (R3).
La CCD recommande également de ne consentir une concession que pour un temps déterminé (R6). Autrement dit, au bout d’un certain laps de temps, dont la durée est laissée à la discrétion de l’évêque, la concession de célébrer avec le missel de 1962 doit être suspendue, c’est-à-dire que l’ancien rite sera alors définitivement interdit.
La CCD ose affirmer que ces restrictions n’ont pas pour but de « marginaliser les fidèles enracinés[1] dans la forme de célébration précédente » (R1). Si exclure de l’église paroissiale n’est pas marginaliser, qu’est-ce alors ? C’est au moins ‘discriminatoire’ selon un mot à la mode. Et on frémit à l’idée de ce qu’aurait été la réponse de la CCD si elle avait décidé de marginaliser ces fidèles.
Il est clair que l’intention générale des réponses, intention approuvée par François, est de mettre fin définitivement, dans un avenir proche, à l’usage du missel traditionnel. La CCD insiste en affirmant que « la réforme liturgique est irréversible » (L7). Tout retour à l’ancien rite est donc impossible. Et elle enfonce le clou en parlant des « dictats du concile Vatican II » (R3). Le dictionnaire Le Robert donne de ‘dictat’ la définition suivante : « Chose imposée, décision unilatérale contre laquelle on ne peut rien ». On est loin de la synodalité si chère à François.
– Des restrictions supplémentaires
La note de la CCD ne fait qu’expliciter des restrictions déjà présentes dans TC. En effet, les évêques ayant posé de nombreuses questions, elle ajoute plusieurs restrictions non spécifiquement présentes dans le motu proprio. En cela, elle a une position plus restrictive que TC.
La première de ces restrictions est l’interdiction formelle, dès maintenant, d’utiliser le Pontificale romanum (R2) qui regroupe les cérémonies propres aux évêques, à savoir la confirmation et l’ordination pour ce qui concerne les sacrements. La CCD précise donc que, dès maintenant, il n’est plus possible pour les évêques de les célébrer dans le rite traditionnel, ce qui pose un grave problème pour l’ordination des diacres des communautés Ecclesia Dei en juin prochain. D’où l’inquiétude de ces communautés.
Autre restriction nouvelle : dans R10 et R11, par deux fois, la note de la CCD précise : « Il n’y a pas de cause juste ni de nécessité paroissiale pour biner. » Autrement dit, tout prêtre autorisé à dire le rite ancien, s’il doit dire une messe Paul VI un jour, perd alors le droit de dire l’ancienne messe.
La raison invoquée pour cette nouvelle restriction est que le « droit des fidèles à célébrer l’Eucharistie » est respecté avec le nouvel ordo. On apprend ainsi que le prêtre n’est plus le seul à célébrer : les fidèles ‘célèbrent’ également ! Nouvel écart par rapport à l’ancien rite dans lequel les fidèles ne font qu’assister au sacrifice de la messe : seul le prêtre peut célébrer, car il est le seul à pouvoir agir « in persona Christi ».
Les justifications avancées
Pour justifier toutes ces décisions, la CCD se réfère exclusivement au concile Vatican II. Ainsi, la conformité aux décisions de Vatican II est invoquée 7 fois : 1 fois dans la lettre de présentation (L2) et 6 fois dans les réponses elles-mêmes (3 fois dans R2, 1 fois dans R3 et R4, et 2 fois dans R5). Il n’y a aucune autre référence.
C’est donc le concile Vatican II (à savoir la constitution dogmatique Sacrosanctum concilium), et lui seul, qui, selon la CCD, est la source de cette abrogation radicale et définitive du rite traditionnel. Mais on comprend mal que cette constitution puisse être prise pour référence, car elle ne comprend aucune incitation dans ce sens. Le ou les auteurs de la note semblent mal connaître ou au moins avoir oublié l’esprit de cette constitution.
En effet, son § 3 affirme :
Parmi ces principes et ces normes, il en est un certain nombre qui peuvent et doivent être appliqués tout autant aux autres rites qu’au seul rite romain, bien que les normes pratiques qui suivent soient à entendre comme concernant le seul rite romain, à moins qu’il ne s’agisse de ce qui, par la nature même des choses, affecte aussi les autres rites.
Et non seulement Sacrosanctum concilium reconnaît l’existence de plusieurs rites dans l’Église, mais elle veut aussi les conserver, car le § 4 dit : « Le saint Concile déclare que la sainte Mère l’Église considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus. Elle veut à l’avenir les conserver et les favoriser de toutes manières. » Or le rite tridentin a été légitimement reconnu pendant plusieurs siècles.
Le § 37 est encore plus explicite :
L’Église, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la communauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique : bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers peuples et elle les développe ; tout ce qui, dans leurs mœurs, n’est pas indissolublement solidaire de superstitions et d’erreurs, elle l’apprécie avec bienveillance et, si elle peut, elle en assure la parfaite conservation ; qui plus est, elle l’admet parfois dans la liturgie elle-même, pourvu que cela s’harmonise avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique.
Il est bien dit que « même dans la liturgie », l’Église « ne désire pas imposer la forme rigide d’un libellé unique. » On peut difficilement être en opposition plus radicale avec ce qu’affirment TC et la note de la CCD.
Et cette décision de Vatican II n’est pas réservée aux rites autre que le rit romain, car au § 38, il est précisé : « Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples. »
Dans l’esprit des pères du concile, il est donc légitime qu’il y ait plusieurs rites dans l’Église et il faut les conserver comme un précieux trésor.
On pourrait ainsi multiplier les citations. Aussi, s’appuyer sur le concile Vatican II pour affirmer que « les livres liturgiques promulgués par les saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II » sont « l’unique expression de la lex orandi du Rite romain » est une extrapolation indue de Vatican II. Nulle part on ne trouve chez les pères conciliaires cette volonté d’imposer un rite unique dans toute l’Église.
Bien au contraire, tous les rappels aux normes faits par Sacrosanctum concilium sont assortis d’assouplissements qui ont finalement conduit à multiplier les formes, à commencer par l’unité liée à l’emploi universel de la langue latine, qui a volé en éclat avec l’autorisation d’utiliser les langues vernaculaires[2].
Il est même accordé aux évêques diocésains la possibilité d’adapter le rite. Le § 39 stipule clairement : « Il reviendra à l’autorité ecclésiastique ayant compétence sur le territoire de déterminer les adaptations, surtout pour l’administration des sacrements. » Il pourrait ainsi y avoir autant de rites que d’évêchés dans le monde.
Et cette autorisation est répétée aux § 36 et 40 : « Pour les pays de mission, l’autorité ecclésiastique ayant compétence sur le territoire, mentionnée à l’article 22, § 2, considérera avec attention et prudence ce qui, en ce domaine, à partir des traditions et de la mentalité de chaque peuple, peut opportunément être admis dans le culte divin. » Pourquoi ce qui serait vrai pour les pays de mission ne le serait pas pour les autres pays ?
Ainsi, on se trouve devant le paradoxe suivant : avant la réforme, il n’y avait qu’un seul rite célébré dans une langue unique, signe d’une profonde unité. La réforme voulue par Vatican II propose d’adapter les différents rites, décision ayant rapidement conduit à la multiplication des formes. De plus, avec l’autorisation d’utiliser les langues vernaculaires l’unité linguistique a été perdue. Devant ce constat, le Saint-Siège cherche à revenir par dictat à cette unité antérieure : pourquoi dans ce cas ne pas revenir au rit traditionnel en latin puisqu’il a maintenu l’unité pendant les siècles qui ont précédé le concile ?
On ne peut donc nullement s’appuyer sur les décrets du concile Vatican II pour affirmer qu’il n’y a qu’une expression de la lex orandi. C’est une erreur analogue à celle commise par TC lorsqu’il s’appuie sur la réforme de saint Pie V pour justifier la suppression du rite traditionnel et imposer le nouvel ordo qui a à peine 50 ans, alors que la bulle Quo primum a édicté exactement le contraire en supprimant ce qui était récent pour ne garder que ce qui avait plus de 200 ans.
Maintenir la messe tridentine
Quelles conclusions pratiques tirer de cette analyse ? Car elle serait stérile, si elle ne conduisait pas à une action concrète. Pour cela, le mieux à faire est de calquer notre attitude sur celles des saints dans des situations analogues. Le premier exemple à suivre est celui de Notre-Dame au pied de la Croix.
En effet, aujourd’hui, la messe est dans une situation qui, par bien des côtés, ressemble à celle vécue par Notre Seigneur durant sa Passion : l’autorité suprême la condamne à mort. Or pendant la Passion, Notre-Dame ne se révolta pas : elle resta indéfectiblement près de son Fils, silencieuse et recueillie. Sans doute pria-t-elle pour les bourreaux. Saint Jean et les saintes femmes la soutinrent et l’imitèrent. Par rapport à la sainte messe, adoptons la même attitude : restons-y indéfectiblement attachés (enracinés dirait le Saint-Siège), même si elle vient d’être condamnée à mort. Et prions pour ceux qui veulent sa fin. Prions aussi pour demander au Ciel la grâce de nous conserver la messe traditionnelle et les grâces nécessaires pour, à notre niveau, faire ce qu’il faut pour la conserver. Sans la prière, nous ne pourrons rien obtenir.
Ensuite, comme sainte Catherine de Sienne, il faut condamner l’erreur, quand bien même elle viendrait du Saint-Siège, et rappeler la vérité. Dans son encyclique E supremi apostolatus, saint Pie X enseigne que c’est la première chose à faire pour redresser une situation. Sainte Catherine de Sienne ne s’est pas privée de le faire, montrant que ce rappel de la vérité n’est pas l’apanage des clercs.
L’erreur à dénoncer, c’est de dire d’une part que la messe n’est qu’un banquet, d’autre part qu’un pape peut abroger la forme traditionnelle.
La vérité à rappeler, c’est que la messe est d’abord un sacrifice offert à Dieu dans un but à la fois latreutique, eucharistique, propitiatoire et impétratoire. La vérité c’est aussi qu’aucun pape ne peut ni ne pourra jamais abroger la bulle de saint Pie V autorisant à perpétuité l’utilisation du missel traditionnel.
Il faut aussi suivre l’exemple de sainte Véronique sur le chemin du calvaire qui, bravant les interdictions romaines (déjà elles !), s’approcha de Jésus pour essuyer sa Sainte Face. Pour nous, cela signifie continuer, malgré les dictats romains, à aller aux messes célébrées dans l’ancien rite et soutenir les prêtres qui le feront, dût-il en résulter de graves inconvénients. C’est également l’exemple que nous donnent les prêtres réfractaires et tous les martyrs de la Révolution française. La situation est plus difficile de nos jours, car l’injuste contrainte ne vient pas de l’État mais du Saint-Siège.
Car les lois injustes ne sont pas des lois. Saint Thomas le dit très clairement (Somme théologique, Ia, IIae, question 96, article 4) :
Les lois peuvent être injustes de deux façons.
D’abord par leur opposition au bien commun (…), ou bien par leur fin, ainsi quand un chef impose à ses sujets des lois onéreuses qui ne concourent pas à l’utilité commune, mais plutôt à sa propre cupidité ou à sa propre gloire ; soit du fait de leur auteur, qui porte par exemple une loi en outrepassant le pouvoir qui lui a été confié ; soit encore en raison de leur forme, par exemple lorsque les charges sont réparties inégalement dans la communauté, même si elles sont ordonnées au bien commun. Des lois de cette sorte sont plutôt des violences que des lois, parce que « une loi qui ne serait pas juste ne paraît pas être une loi », dit saint Augustin. Aussi de telles lois n’obligent-elles pas en conscience, sinon peut-être pour éviter le scandale et le désordre ; car pour y parvenir on est tenu même à céder son droit, selon ces paroles en saint Matthieu (6, 40) : « Si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, accompagne-le encore deux mille pas ; et si quelqu’un te prend ta tunique, donne-lui aussi ton manteau. »
Les lois peuvent être injustes d’une autre manière : par leur opposition au bien divin ; telles sont les lois tyranniques qui poussent à l’idolâtrie ou à toute autre conduite opposée à la loi divine. Il n’est jamais permis d’observer de telles lois car, « il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes » (Ac 5, 29).
Or TC et la note de la CCD étant contraires à la fois au ‘bien divin’ et au ‘bien commun’, selon saint Thomas ce sont « plutôt des violences que des lois » et par conséquent « n’obligent pas en conscience ». Voilà ce qu’il faut proclamer fermement.
Il ne faut pas se voiler la face. Le Saint-Siège est à nouveau parti en guerre contre le rite traditionnel avec la volonté de l’éradiquer complètement de la vie de l’Église dans un avenir aussi proche que possible : Rome veut mettre fin à l’utilisation du missel de 62. C’est une véritable guerre entre deux conceptions différentes de la messe. Or la messe étant le sommet de la vie chrétienne, cette opposition sur la conception de la messe conduit à deux conceptions radicalement opposées de l’Église et de la vie chrétienne. Sur ce point, le supérieur général de la Fraternité Saint Pie X a eu une formulation heureuse en disant : « Paraphrasant saint Augustin, on pourrait dire que deux messes édifient deux cités : la messe de toujours a édifié la cité chrétienne, la nouvelle messe cherche à édifier la cité humaniste et laïque. »
Il est illusoire d’espérer que le Saint-Siège assouplisse sa position si nous tenons un discours conciliant. Non ! Il faut montrer une opposition ferme et décidée. Rome veut la fin de la messe traditionnelle. Nous voulons maintenir le rite tridentin parce qu’il est voulu par Dieu Lui-même, conformément à l’enseignement de la XXIIe session du concile de Trente qui « en fixant définitivement les canons du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du mystère de la Sainte Messe ». (Bref examen critique du nouvel ordo missæ par les cardinaux Ottaviani et Bacci)
Les positions sont irréductibles. Il faut par tous les moyens maintenir l’usage de la messe traditionnelle, fut-ce en dehors des églises, soutenir les prêtres qui continueront à la dire, non seulement moralement, mais aussi matériellement en cas de sanction romaine, …
Prions aussi pour que des évêques, refusant de plier aux dernières injonctions du Saint-Siège, continuent à confirmer et ordonner dans le rite traditionnel, en particulier en juin prochain.
À ce sujet, nous ne saurions trop conseiller à nos amis qui assistent indifféremment aux deux formes du rite latin, de faire un choix clair : face à cette guerre entre les deux rites, il n’est plus possible de tergiverser. Pas de demi-mesure ! Est, est, non, non ! En voulant exclure définitivement la messe tridentine, le nouvel ordo s’est clairement positionné en guerre contre l’ancien. Il n’est plus possible de chercher à concilier des inconciliables. Il faut choisir son camp. Quelles que soient les difficultés rencontrées, les kilomètres à faire, les humiliations à subir, … il faut désormais montrer notre détermination à tout faire pour maintenir le rite tridentin en n’assistant plus qu’aux messes célébrées avec le missel de 1962.
Sur ce point, le martyrologe romain nous donne un exemple à méditer, celui de saint Herménégilde, fêté le 13 avril. Herménégilde, fils du roi arien Léovigilde, fut converti à la foi catholique par son épouse Igonthe, arrière-petite-fille de Clovis, qui était catholique, et par l’évêque de Séville, saint Léandre. En l’apprenant, son père chercha par tous les moyens à le faire revenir à l’arianisme. Herménégilde ne se laissant fléchir ni par les faveurs ni par les menaces, Léovégilde le fit mettre en prison. Quand arriva la fête de Pâques, ce père indigne lui envoya un évêque, lui offrant sa grâce s’il acceptait de recevoir la communion. Mais Herménégilde refusa de recevoir la communion des mains d’un évêque arien. Son père entrant alors dans une grande fureur le fit décapiter. Herménégilde a été canonisé par le pape Sixte Quint au XVIe siècle.
Prions avec ferveur le Cœur Immaculé de Marie pour qu’il nous inspire dans la conduite à tenir, et nous donne la force de caractère pour défendre contre vents et marées le rite traditionnel.
Le 6 janvier 2022 en la fête de l’Épiphanie
Yves de Lassus
[1] Il est intéressant de noter que dans TC comme dans la note de la CCD, il n’est plus parlé de fidèles « attachés » à la forme traditionnelle, mais « enracinés dans la forme précédente de célébration » (R1 et R2). Le terme ‘enraciné’ semble marquer une aggravation. Ce n’est plus un attachement qui demanderait un détachement, mais un enracinement qui demande un déracinement.
[2] Avant de se référer constamment au concile, il aurait été prudent de s’assurer au préalable d’en avoir respecté les principales demandes. Le § 36 dit sans ambiguïté : « L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins. » Où est-il rappelé que le latin doit être conservé ?