Déclaration des cardinaux et évêques de France en 1925

Le site La porte latine vient opportunément de rappeler un texte de l’assemblée des cardinaux et archevêques de France (devenue depuis la conférence des évêques de France) daté du 10 mars 1925 et intitulé : Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France sur les lois dites de laïcité et sur les mesures à prendre pour les combattre.
À l’heure où l’État, au nom de la laïcité, édicte des lois de plus en plus contraires à la doctrine et à la morale catholique, allant jusqu’à s’immiscer dans le gouvernement de l’Eglise en demandant l’abolition du secret de la confession, il est nécessaire de relire cette déclaration qui est non seulement un rappel de la doctrine catholique sur les lois injustes, mais aussi sur la façon de réagir. Ce texte a été diffusé dans La Documentation catholique, n°282 du 21 mars 1925, col. 707-712.
Que cette lecture nous donne le courage de réagir pour continuer à défendre, bec et ongles, l’avènement du règne du Christ-Roi.

DÉCLARATION
de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France
sur les lois dites de laïcité
et sur les mesures à prendre pour les combattre

I. Injustice des lois de laïcité

1. Les lois de laïcité sont injustes d’abord parce qu’elles sont contraires aux droits formels de Dieu. Elles procèdent de l’athéisme et y conduisent dans l’ordre individuel, familial, social, politique, national, international. Elles supposent la méconnaissance totale de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Évangile. Elles tendent à substituer au vrai Dieu des idoles (la liberté, la solidarité, l’humanité, la science, etc.) ; à déchristianiser toutes les vies et toutes les institutions. Ceux qui en ont inauguré le règne, ceux qui l’ont affermi, étendu, imposé, n’ont pas eu d’autre but. De ce fait, elles sont l’œuvre de l’impiété, qui est l’expression de la plus coupable des injustices, comme la religion catholique est l’expression de la plus haute justice.

2. Elles sont injustes ensuite, parce qu’elles sont contraires à nos intérêts temporels et spirituels. Qu’on les examine, il n’en est pas une qui ne nous atteigne à la fois dans nos biens terrestres et dans nos biens surnaturels. La loi scolaire enlève aux parents la liberté qui leur appartient, les oblige à payer deux impôts : l’un pour l’enseignement officiel, l’autre pour l’enseignement chrétien ; en même temps, elle trompe l’intelligence des enfants, elle pervertit leur volonté, elle fausse leur conscience. La loi de Séparation nous dépouille des propriétés qui nous étaient nécessaires et apporte mille entraves à notre ministère sacerdotal, sans compter qu’elle entraîne la rupture officielle, publique, scandaleuse de la société avec l’Église, la religion et Dieu. La loi du divorce sépare les époux, donne naissance à des procès retentissants qui humilient et déclassent les familles, divise et attriste l’enfant, rend les mariages ou partiellement ou entièrement stériles, et de plus elle autorise juridiquement l’adultère. La laïcisation des hôpitaux prive les malades de ces soins dévoués et désintéressés que la religion seule inspire, des consolations surnaturelles qui adouciraient leurs souffrances, et les expose à mourir sans sacrements.

On pourrait développer ces considérations à l’infini, y ajouter et montrer que le laïcisme, dans toutes les sphères, est fatal au bien privé et public.

Dès lors, les lois de laïcité ne sont pas des lois. Elles n’ont de loi que le nom, un nom usurpé ; elles ne sont que des corruptions de la loi, des violences plutôt que des lois, dit Saint Thomas : Magis sunt violentiae quam leges. (Ia, IIae, q. 96, art. IV). Ne nous nuiraient-elles que dans l’ordre temporel, en soi, elles ne nous obligeraient pas en conscience, tales leges (scil. leges contrariae bono humano), non obligant in foro conscientiae. (Ibid) Elles ne pourraient nous obliger qu’au cas où il faudrait céder un intérêt purement terrestre pour éviter des troubles et des scandales (Cf. S. Th. ibid.) Mais comme les lois de laïcité attentent aux droits de Dieu, comme elles nous atteignent dans nos intérêts spirituels ; comme, après avoir ruiné les principes essentiels sur lesquels repose la société, elles sont ennemis de la vraie religion qui nous ordonne de reconnaître et d’adorer, dans tous les domaines, Dieu et son Christ, d’adhérer à leur enseignement, de nous soumettre à leurs commandements, de sauver à tout prix nos âmes, il ne nous est pas permis de leur obéir, nous avons le droit et le devoir de les combattre et d’en exiger, par tous les moyens honnêtes, l’abrogation. Leges posunt esse injuste per contrarietatem ad bonum divinum, sicut leges tyrannicae inducentes ad idolatriam vel ad quodcumque aliud quod sit centra legem divinam : et tales leges nullo modo licet observare, quia sicut dicitur, Act. IV, « Obedire oportet Deo magis quam hominibus. » (S. Th., ibid.)

II. Mesures à prendre pour combattre les lois de laïcité

Deux tactiques. La première consisterait à ne pas heurter de front les législateurs laïcs ; à essayer de les apaiser et d’obtenir qu’après avoir appliqué leurs lois dans un esprit de modération, ils finissent par les laisser tomber en désuétude. Il est possible qu’avec certains hommes investis du pouvoir et moins mal disposés, cette méthode ait quelque chance de succès. On citerait des cas dans l’Histoire où elle a réussi. De plus, elle aurait l’avantage de ne point exaspérer les adversaires et de ne point provoquer de leur part des mesures d’autant plus redoutables qu’elles seront inspirées par un sentiment plus irrité. Cependant, cette tactique présente plusieurs inconvénients graves.

1°) Elle laisse les lois debout. À supposer qu’un ministère ou plusieurs ministères n’en usent qu’avec bienveillance, ou cessent d’en user contre les catholiques, il dépendra d’un nouveau gouvernement de les tirer de l’oubli, de leur rendre leur vigueur et leur efficacité. Danger qui n’est pas imaginaire, car de notre temps le pouvoir passe continuellement d’un parti relativement tolérant à un parti extrême. Il suffit que le premier se soit montré un peu conciliant pour que le second, par réaction, ne garde à notre endroit aucun ménagement. Depuis des années, nous assistons à ce flux et à ce reflux de la persécution religieuse qui, au fond, s’est toujours aggravée. Elle habitue les esprits, fussent-ils sincèrement catholiques, à regarder comme justes, comme compatibles avec la religion les lois de laïcité ; elle favorise ces hommes qui, oscillant perpétuellement entre le laïcisme et le catholicisme, sont prêts à toutes les concessions pour gagner des voix à droite et à gauche, pour entrer dans un ministère, et, n’essayant que d’atténuer quelques effets du laïcisme, en laissent subsister le principe, et en pratique lui sacrifient à peu près complètement le catholicisme. On dira qu’une attitude de conciliation nous a valu quelques faveurs particulières. Petits avantages quand on songe à l’immense courant d’erreur qui envahit les âmes et les entraîne à l’apostasie ! Petits avantages qui nous enchainent et nous empêchent de réagir contre nos adversaires !

2°) Les plus malfaisantes de ces lois continuent à agir, quelles que soient les intentions des ministères successifs. Au moment des accalmies apparentes auxquelles nous avons eu trop de confiance, les écoles athées fonctionnaient sans arrêt ; on préparait des dossiers contre les Ordres religieux, et l’attribution des biens ecclésiastiques se poursuit sournoisement et sûrement.

3°) Cette politique encourage nos adversaires qui, comptant sur notre résignation et notre passivité, se livrent chaque jour à de nouveaux attentats contre l’Église. En somme, les lois de laïcité se sont multipliées au point de réduire chaque jour davantage la reconnaissance du domaine divin sur nous et le champ de nos droits et de nos libertés. Ces pensées frapperont singulièrement quiconque se rappellera la série des lois dont nous sommes les victimes, quiconque invoquera le témoignage de l’histoire pendant le dernier demi-siècle.

C’est pourquoi la majorité des catholiques vraiment attachés à leur foi demande qu’on adopte une attitude plus militante et plus énergique. Elle demande que, sur tous les terrains, dans toutes les régions du pays, on déclare ouvertement et unanimement la guerre au laïcisme et à ses principes jusqu’à l’abolition des lois iniques qui en émanent ; que, pour réussir, on se serve de toutes les armes légitimes.

III. Moyens à employer

Ces moyens peuvent se ramener à trois : 1° Action sur l’opinion ; 2° Action sur les législateurs ; 3° Action sur le gouvernement.

L’opinion, disait dernièrement un de nos cardinaux, se prononce pour ceux qui se battent bien. Elle abandonne ceux qui s’abandonnent eux-mêmes.

1°) Action sur l’opinion. – L’action sur l’opinion s’exercera par la propagande de la vérité ; par la dénonciation des préjugés qui égarent le peuple en l’aveuglant ; par les démonstrations extérieures.

a) La propagande sera féconde si elle est persévérante ; si, tous d’accord, les catholiques font retentir partout la même note de réprobation contre les injustices de la législation : neutralité (mensongère d’ailleurs et impossible), et laïcité de l’enseignement, école unique, divorce, spoliation du clergé, ostracisme des Congrégations, athéisme de l’État et des institutions domestiques, sociales, charitables, politiques, si les Lettres épiscopales, les Semaines religieuses, les Bulletins paroissiaux, les revues, la presse, les affiches, les conférences, les catéchismes, donnent le même son de cloche.

Après avoir montré que les individus, les familles, les nations doivent à Dieu et à Notre-Seigneur un culte officiel, intérieur, extérieur ; une soumission de l’intelligence, de la volonté, de l’activité, il sera et nécessaire de faire ressortir les avantages temporels qu’apporte dans tous les ordres la religion catholique, les maux sans nombre que causent, à cet égard, les lois de laïcité. Par exemple, la foi en une autre vie et en un Juge suprême, l’éducation et la morale chrétiennes, la doctrine évangélique du mariage et de son indissolubilité sont les ennemies du fléau de la dépopulation ; l’incrédulité, l’école laïque, le divorce en sont les complices. Aucune loi n’est aussi favorable à l’éducation des jeunes esprits et des jeunes cœurs que la loi chrétienne, tandis que la science et la morale ont gravement perdu en brisant avec l’Église.
L’application des lois de laïcité a couté à la France des milliards qui auraient pu être épargnés, servir au soulagement des malheureux, accroître la richesse et les réserves du pays, lui assurer au dehors un prestige grandissant. Malgré ces dépenses ruineuses, les malades, les orphelins, les pauvres, les vieillards n’en ont été que plus mal soignés. Que sont devenues, sous le régime du laïcisme, l’impartialité des tribunaux, la liberté des individus, des familles, des officiers, des magistrats, des instituteurs, des fonctionnaires, des mourants ; la participation de meilleurs citoyens aux emplois publics, la justice commutative ou distributive, les relations des classes, l’unité, la paix intérieure, la conscience professionnelle, etc. ? Léon XIII revenait souvent à ces considérations qui émeuvent la multitude.

b) Il faudrait encore confondre les préjugés qui égarent le peuple en l’aveuglant. En voici quelques-uns :
– La loi, juste ou injuste, est la loi ; on est tenu de lui obéir.
– Les lois de laïcité sont intangibles
(alors que les autres peuvent être changées et que les Parlements passent leur vie à les changer).
 Attaquer les lois laïques, c’est attaquer la République (comme si la législation et la Constitution n’étaient pas distinctes ; comme si les républicains les moins suspects n’attaquaient pas les lois qu’ils ont eux-mêmes votées, et jusqu’à la Constitution dont ils sont les auteurs. La vérité est que les catholiques devront toujours combattre le laïcisme quel que soit le régime – régime monarchique ou républicain – qui l’aura mis en vigueur).
Il faut séparer la religion et la politique. (Il ne faut pas les séparer, il faut les distinguer et les concilier.)
– La religion est affaire privée. (La religion est affaire privée, affaire domestique, affaire publique. La société comme l’individu, doit au vrai Dieu des adorations et un culte.)
La religion n’a rien à voir dans la politique. (La religion laisse à chacun la liberté d’être républicain, royaliste, impérialiste, parce que ces diverses formes de gouvernement sont conciliables avec elle ; elle ne lui laisse pas la liberté d’être socialiste, communiste ou anarchiste, car ces trois sectes sont condamnées par la raison et par l’Église. À moins de circonstances particulières, les catholiques sont tenus de servir loyalement les gouvernements de fait aussi longtemps que ceux-ci travaillent au bien temporel et spirituel de leurs sujets ; il ne leur est pas permis de prêter leur concours aux mesures injustes ou impies que prennent les gouvernements ; ils sont obligés de se rappeler que la politique, étant une partie de la morale, est soumise, comme la morale, à la raison, à la religion, à Dieu. C’est d’une façon analogue qu’il convient de réfuter les autres préjugés répandus dans la population.)

À cette action sur l’opinion par la propagande se rattache la question des publicistes et des conférenciers. Il est très désirable que ceux-ci soient formés et préparés sérieusement ; qu’ils ne se contentent pas de formules universelles, generalia non movent, de phraséologies vagues et vides, mais qu’ils fassent preuve de précision, de compétence, de force, de clarté ; qu’en particulier ils étudient les traités de la foi, de l’Église et de l’État.

c) Action sur l’opinion par les manifestations extérieures. – En cet ordre, la prudence nous prescrit de procéder suivant ses préceptes, d’éviter la témérité, de prendre toutes les précautions nécessaires. Mais il est sûr que les manifestations extérieures, bien préparées, impressionneront la foule en lui donnant l’idée, qu’elle n’a pas, de notre nombre, de notre unité, de notre puissance et de la volonté inébranlable où nous sommes, de revendiquer nos droits jusqu’à la victoire. « L’opinion, disait dernièrement un de nos cardinaux, se prononce pour ceux qui se battent bien. » Elle abandonne ceux qui s’abandonnent eux-mêmes.

2°) Action sur les législateurs. – Cette action peut aboutir à quelques résultats heureux.

a) Par des pétitions envoyées aux députés, aux sénateurs de chaque département. Il conviendrait que ces pétitions vinssent de tous les groupements : groupements de pères de famille, d’anciens combattants, de Jeunesse catholique, de cheminots, de veuves de guerre ; des Ligues féminines catholiques, des personnalités les plus considérables de la banque, de l’industrie, du commerce, etc. Ces pétitions seraient adressées à tous les parlementaires, sans exception, et si un ministre appartenait à la contrée, on aurait soin de lui faire tenir ces protestations et ces réclamations.

b) Des personnages considérables voudraient qu’on allât plus loin et que l’on donnât à tous les catholiques la consigne de refuser leurs voix aux candidats qui ne seraient pas en théorie et en pratique, les adversaires du laïcisme et des œuvres neutres. Dans l’esprit de ces hommes graves, la théorie du moindre mal, poussée au-delà des bornes, nous a valu des échecs et des malheurs de plus en plus irréparables que nous aurions pu conjurer, au moins en partie, par une attitude plus ferme.

3°) Action sur le gouvernement. – Ce qui remue l’opinion et les Chambres atteint déjà le gouvernement, mais il faut l’aborder directement. Socialistes, communistes, fonctionnaires, ouvriers, commerçants nous donnent l’exemple. Quand une loi ou un décret leur déplaît ou leur nuit, ils n’estiment pas suffisante les interpellations de leurs représentants à la Chambre ou au Sénat, ils s’adressent eux-mêmes au pouvoir. Ils se rendent en masse aux portes des mairies, des préfectures, des ministères ; ils envoient aux titulaires de l’autorité des protestations, des délégations, des ultimatums ; ils multiplient les démarches voire les grèves ; ils assiègent et ils harcèlent le gouvernement qui a, presque toujours, finit par céder à leurs instances. Pourquoi, autant que nous le permettent notre morale, notre dignité, notre amour de la paix, fondée sur la justice et la charité, ne les imiterions-nous pas, afin d’effacer de notre code les lois qui, suivant l’énergique parole d’un de nos évêques, nous mènent « du laïcisme au paganisme » ?

Nous disposons de troupes dont le nombre et le courage égalent au moins le nombre et le courage des autres groupements, car une multitude de chrétiens sont impatients d’engager la lutte.

Assurément l’œuvre est immense et difficile, mais le propre de la vertu de force est d’affronter les obstacles et de braver le danger. De plus, nous disposons de troupes dont le nombre et le courage égalent au moins le nombre et le courage des autres groupements, car une multitude de chrétiens, à compter seulement ceux qui sont fervents et agissants, sont impatients d’engager la lutte. Nos cadres – paroisses, diocèses, provinces ecclésiastiques, – sont préparés.
Ce qui a trop manqué jusqu’ici aux catholiques, c’est l’unité, la concentration, l’harmonie, l’organisation des efforts. N’auront-ils pas assez d’abnégation pour former un corps compact qui travaillera avec ensemble sous la direction de leurs supérieurs hiérarchiques ? On dira que cette attitude nous expose à des retours offensifs et impitoyables de nos adversaires. Ce n’est pas certain ; en tout cas, à quelles calamités ne nous expose pas l’attitude contraire ? Quel avenir nous attend si, satisfaits d’une légère et artificielle détente, nous nous endormons ? Jamais peut-être, depuis cinquante ans, l’heure n’a paru aussi propice ; à la laisser passer sans en profiter, il semble bien que nous trahissions la Providence.

Paris, le 10 mars 1925