De quelques réflexions sur les conditions
d’une authentique et solide restauration royale.
par le frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur
1) – Il y a un assez grand nombre de personnes qui se disent favorables à la royauté ; mais, parmi elles, on trouve un très large éventail de conceptions, parfois très opposées les unes aux autres : qu’y a-t-il de commun entre un « orléaniste » et un « légitimiste » (pour ne parler que des deux grands courants royalistes) ? Il n’est même pas certain que, si l’on demandait aux uns et aux autres de définir le mot « roi » qu’ils ont en commun, on obtienne la même notion.
Parmi les royalistes on en trouve un assez grand nombre qui se dit « légitimiste », c’est-à-dire soutenant les droits dynastiques de Monseigneur le Prince Louis de Bourbon, duc d’Anjou ; mais, parmi ces « légitimistes », existe encore un certaine variété d’idées divergentes, voire absolument incompatibles entre elles. Il y a ceux qui, à la suite du Comte de Chambord, tiennent fermement aux principes de la monarchie capétienne traditionnelle, et il y a ceux qui s’accommoderaient d’une royauté qualifiée de « moderne » dont la quasi seule différence avec l’actuelle cinquième république consisterait dans le fait qu’au lieu d’un président de la république élu, il y aurait à la tête de l’État Louis XX et ses successeurs.
La restauration royale à laquelle nous aspirons, à laquelle nous travaillons, est celle d’une monarchie traditionnelle pleinement conforme aux principes et traditions de celle qui a succombé sous les coups de la sinistre révolution : pas une royauté parlementaire, ou « constitutionnelle », comme on en trouve en plusieurs pays d’Europe aujourd’hui.
2) – On trouve également un nombre assez important de personnes favorables à la royauté, qui vivent avec l’illusion que le seul fait de placer un roi (Louis XX par exemple, mais un certain nombre de « survivantistes » ou de « providentialistes » partagent aussi ce genre d’idées en promouvant leurs candidats – connus ou cachés -) à la tête de la France telle qu’elle se trouve aujourd’hui, comme une espèce de « deus ex machina », pour que, comme par enchantement, tout se retrouve automatiquement changé, amélioré, renouvelé.
Il m’est arrivé de recevoir des messages que je qualifie volontiers de délirants : des personnes sans nul doute enthousiastes, mais à mon avis manquant pour le moins de réalisme (si ce n’est d’équilibre intellectuel et psychologique), qui m’écrivent qu’elles sont prêtes, dès aujourd’hui ou dès demain, à conduire le Prince à Reims et, là, à demander à l’archevêque de lui conférer le Sacre !
S’imaginent-elles être de « nouvelles Jeanne d’Arc » ?
En tout cas, d’après elles, sitôt la cérémonie achevée, la France serait transformée et, telle la « Belle au bois dormant » au contact des lèvres du prince charmant, se réveillerait catholique et royale…
Les « zinzins » de cette sorte (qui, en plus, sont très souvent animés d’un zèle indiscret et tapageur), à mon avis, portent un tort considérable à l’idée royale.
3) – Vouloir, aujourd’hui, restaurer en France une royauté, d’un claquement de doigts, relève d’un manque de réalisme absolu. Or le réalisme est, philosophiquement, l’un des piliers de la monarchie légitime.
La restauration monarchique ne sera pas le début du renouveau que nous espérons et auquel nous travaillons, avec nos faibles moyens actuels : elle en sera la clef de voûte, l’achèvement.
La restauration royale, en France, ne se pourra faire que sur les fondements solides d’une restauration spirituelle, d’une pleine restauration catholique. Elle ne sera pas simplement politique, dans le sens où elle ne consistera pas à remplacer le système républicain actuellement en place par un système monarchique, de la même façon que l’on opère un simple ravalement de façade ou comme un changement de décor au théâtre. Il faudra – ni plus ni moins – revenir au Pacte de Reims, acte fondateur de la monarchie traditionnelle en ce Royaume, acte fondateur qui a été renouvelé, réitéré et réactualisé à chacun des Sacres de nos Souverains.
4) – Aussi, pour travailler efficacement au rétablissement d’institutions monarchiques stables et pérennes, faut-il commencer par travailler à la conversion des mentalités, des intelligences, des cœurs, des esprits et des âmes.
C’est bien – malgré le remarquable travail des Chevaliers de la Foi, malgré l’action de la Congrégation, et malgré le soutien et les convictions sincères du Roi Charles X – parce qu’elle a échoué dans le domaine de la conversion profonde et générale des Français (conversion à tous les niveaux : intelligences, moeurs, mentalités, esprits et âmes) que la Restauration de 1815 n’a pas pu se maintenir, malgré ses brillantes réussites économiques et militaires.
La façade, aussi belle fut-elle, avait seulement masqué et non renouvelé les mentalités polluées et viciées par les idées révolutionnaires : elle n’avait pas restauré en profondeur la compréhension et l’amour religieux du mystère sacré de la Royauté traditionnelle qui ne peut s’épanouir et subsister que dans une Chrétienté vivante, individuellement et socialement.
5) – L’expérience me montre encore que beaucoup de royalistes, beaucoup de légitimistes, ont en vérité peur des exigences d’une telle restauration, peur des conséquences que cela entraînerait dans leur propre vie, finalement peur d’avoir à mettre en oeuvre une vraie et absolue cohérence entre leurs idées et leurs mœurs, leurs paroles et leur mode de vie.
Ils vivent dans une espèce de pieuse nostalgie, qui ne les contraint pas à renoncer à l’esprit du monde ni à leurs continues compromissions avec les modes et avec l’air du temps : ils n’ont pas envie de se convertir.
Ils se précipitent, la bouche en coeur, aux « coquetèles », aux bals et aux cérémonies où l’on annonce la présence du Prince, mais ils prennent bien garde de s’engager – surtout si cela impose quelque sacrifice et si cela exige de la persévérance – dans un travail de fond.
Ils sont de pauvres courtisans, ils ne seront jamais de valeureux chouans.
6) – Il est indubitable que l’un des premiers et des plus urgents devoirs des légitimistes, aujourd’hui, consiste à acquérir non seulement une nécessaire formation intellectuelle – philosophique, historique, doctrinale… etc. – , mais, en outre et par-dessus tout, une encore plus nécessaire et solide formation spirituelle.
La vie spirituelle des légitimistes ne peut seulement consister dans une honnête connaissance du catéchisme, et dans une pratique religieuse régulière mais trop formelle ; elle doit imprégner, animer vivifier tout leur quotidien.
C’est parce qu’il sera l’incarnation d’un catholicisme fort et décomplexé (comme l’on dit aujourd’hui), épanoui et rayonnant, que le témoignage des légitimistes sera conquérant.
7) – La restauration de la monarchie légitime sera un miracle de la grâce, quelque chose qui ressemblera – dans l’ordre social et politique – à la résurrection du corps de Lazare en putréfaction, quelque chose de plus grand encore que le miracle du sursaut national suscité par l’intervention de ce doigt de Dieu dans notre histoire que fut Sainte Jeanne d’Arc.
Mais les miracles ont un prix : de la même manière que le rachat et le salut des âmes ont pour rançon les tourments de la douloureuse Passion, la conversion de la France et son retour de fille prodigue repentante dans les bras de ce lieu-tenant de Dieu sur terre qu’est le Roi légitime, désigné par les Lois Fondamentales du Royaume, exige de nouveaux Golgotha : des prières toujours plus ferventes, des sacrifices toujours plus généreux, des pénitences volontaires toujours plus nombreuses, et des immolations secrètes dans le Gethsémani de ces nuits de l’âme et de l’esprit que connaissent les privilégiés du Coeur de Jésus…
Addenda :
a) – Que l’on ne se méprenne pas sur nos paroles. Nous sommes fermement convaincus que « de la forme donnée à la société, en harmonie ou non avec les lois divines, dépend et s’infiltre le bien ou le mal des âmes… » (Pie XII, radio-message du 1er juin 1941 pour le cinquantième anniversaire de l’encyclique « Rerum novarum ») ; si ce n’était pas le cas, nous ne militerions pas pour la restauration de la monarchie traditionnelle. Mais « la forme donnée à la société » ne peut perdurer si les individus, les familles et les corps intermédiaires qui composent cette société n’adhèrent pas aux principes qui fondent cette « forme », et si celle-ci est seulement imposée d’en-haut sur des sujets totalement passifs.
b) – Certains, parfois, insistent tellement sur le devoir fait aux chrétiens de travailler à leur perfection pour infléchir sur la marche du monde, qu’ils en arrivent presque à conclure – ou à laisser penser à leurs auditeurs – qu’il serait résolument vain de tenter d’agir ici-bas si l’on n’est pas arrivé à un haut degré de vertu, voire parvenu à la sainteté ! Semblable exagération n’est pas conforme à l’Evangile, n’est pas conforme à l’enseignement et à la pratique séculaire de l’Eglise. Certes, plus une âme est sainte et plus elle a d’influence, non seulement dans le seul domaine de la spiritualité, mais aussi sur la société des hommes : « Toute âme qui s’élève élève le monde » (Elisabeth Leseur). Toutefois, même s’il n’est pas parvenu à la perfection, même s’il lutte encore parfois douloureusement contre ses propres péchés et ses tendances désordonnées, même si sa faiblesse lui est l’occasion de chutes (et donc aussi – normalement – de relèvements !) tout chrétien, quelque imparfait qu’il soit encore, est appelé et habilité à travailler – selon sa mesure, ses capacités et sa place dans la société – pour qu’elle soit toujours plus conforme aux lois divines et aux merveilleux desseins de la Providence sur sa patrie.